Nouvelle expulsion des personnes exilées survivant en centre ville de Calais : le “pont-pont”
Alors que Calais s’illumine et offre à ses habitants la possibilité de célébrer les fêtes de fin d’année, il n'y aura pas de trêve à Noël pour plusieurs centaines de personnes exilées vivant sous les ponts de la ville. Natacha Bouchart, maire de Calais, engage une procédure d'expulsion à leur encontre via une requête en référé jugée lors d’une audience au tribunal administratif de Lille le 23 décembre 2020 à 14h30.
Face aux expulsions brutales de lieux de vie qui se sont succédées ces derniers mois, face à la pose de grillages ou au déboisage de zones entières de la ville afin d’empêcher toute installation, de nombreuses personnes ont été contraintes de se réfugier sous les ponts de la ville de Calais. Ces personnes, qui, pour la plupart, ont déjà traversé de nombreuses expulsions se trouvent une nouvelle fois, à travers cette opération, sous la menace d’une énième atteinte à leurs droits fondamentaux.
Prenant acte de la situation de ces personnes sans accès à l'électricité, à l'eau courante ou à la collecte des déchets, les autorités municipales sont, selon elles, obligées d'ordonner cette mesure expulsion au nom du respect, notamment, de la " dignité humaine ".
Nous ne pouvons qu’abonder dans leur sens. La situation des personnes exilées, parmi lesquelles des enfants, survivant sous ces ponts ou dans des terrains vagues est indigne . Cependant, nous savons que nuls expulsions forcées, grillages, déboisements ou mesures coercitives ne permettront de rétablir une quelconque dignité.
La dignité pour laquelle nous plaidons implique de proposer une mise à l’abri basée sur le volontariat, la pleine information des personnes exilées ou encore un diagnostic social permettant de comprendre la situation des personnes et donc de leur proposer une solution adaptée. La dignité pour laquelle nous plaidons suppose également des solutions d'hébergement adaptées, continues et inconditionnelles à Calais ou à proximité, offrant de réelles alternatives à l'errance et la précarité. Le respect de cette dignité nécessite, enfin, de formuler de réelles propositions d’installation en France ou d’accès légal au Royaume-Uni, seules à même d’apporter une solution durable à la situation des personnes exilées présentes à Calais.
Au nom de cette même dignité, et pour plaider la cause de solutions plus humaines, nous nous tiendrons en soutien et solidarité avec les personnes concernées par cette mesure au tribunal administratif lorsqu’elles tenteront de défendre leur droit à la (sur)vie, encore une fois entravé par des opérations allant à l'encontre de toute humanité.
Organisations signataires
L'Auberge des Migrants
Secours Catholique
Choose Love
Observateurs des droits de l'homme
Centre des femmes réfugiées
Collective Aid
Médecins du Monde
Calais Food Collective
Cabane Juridique
Utopia 56
Salam - Nord Pas de Calais
A Calais, la saga des expulsions continue
Hier matin, 22 octobre 2020, la préfecture du Pas de Calais a procédé à nouveau à la expulsion et à la destruction massive d'un camp. Il s'agit du lieu appelé " jungle de la Licorne ", où près de 300 personnes exilées vivaient, selon la distribution de tentes faite par Utopia 56, une semaine auparavant. Une fois encore, les associations dénoncent la brutalité et l'inefficacité de ces opérations. Elles ne respectent pas les droits fondamentaux des personnes.
Les associations dénoncent la violation du droit d'aller et venir des personnes déplacées. Une fois de plus, une douzaine de bus avaient été affrétés pour les emmener vers une destination inconnue. Les autorités ont procédé à une opération de "mise à l'abri" d'au moins 190 personnes.
Une "opération de mise à l'abri" des hommes, mais aussi des femmes et des enfants.
L'inutilité de cette opération de "mise à l'abri" s'observe notamment dans la fréquence de ces opérations.
Les associations dénoncent le caractère forcé de ces opérations. Dès 7h20, les forces de l'ordre arrivent avec leur armada habituelle (gendarmerie nationale, police nationale, police aux frontières, BAC, ...). Le consentement et la volonté des personnes expulsées n'est absolument pas pris en considération. En fait, une véritable chasse à l'homme a été menée pour tenter de les faire disparaître. Le processus est toujours le même : à l'arrivée d'un bus, les personnes sont encerclées et escortées par la police, les empêchant de partir.
Les associations dénoncent la violation du droit à la propriété des personnes. Les personnes sont expulsées sans même pouvoir prendre le temps de rassembler leurs biens, qui sont confisqués ou jetés. Plusieurs heures après l'opération, la violence est encore perceptible quand on se rend dans le camp. Une casserole de riz encore pleine est sur le feu, des chaussures traînent, une tente, des bidons d'eau, un T-shirt de petite fille, une couverture, ...
Les associations dénoncent l'absence de respect du droit à la vie privée et familiale des personnes exilées. L’équipe de Human Rights Observers a pu relater une scène percutante pendant laquelle des forces de l’ordre ont refusé un homme de rejoindre sa famille dans un bus.
Les associations dénoncent l'absence du droit au contradictoire. En effet, plusieurs heures après, une seule page de l’ordonnance sur requête trône ostensiblement au milieu du lieu de vie. Il s’agit de la base légale de l’expulsion avec une autorisation au recours à la force publique. Ce procédé permet d’outrepasser le droit au contradictoire des personnes exilées. Les mêmes motifs sont réutilisés à chaque fois : salubrité publique, sécurité publique et troubles à l’ordre public.
Encore une fois, les associations dénoncent la brutalité et l’inefficacité de ces opérations. Les associations dénoncent la violation des droits fondamentaux des personnes exilées, non exhaustivement cités.
Organisations signataires
La Cabane Juridique
L'Auberge des migrants
First Aid Support
L'équipe Salam
11 personnes exilées soutenues par 8 associations assignent le Préfet du Pas-de-Calais devant le tribunal judiciaire de Boulogne-Sur-Mer suite à l'expulsion illégale du terrain où elles vivaient
Par cette procédure ("assignation devant le tribunal de Boulogne-sur-Mer") Mohammed1 et les autres requérants demandent que "les décideurs, les gouvernements en France et en Europe, nous regardent avec l'œil de la dignité et de la fraternité". Ils seront représentés par l'avocat Me Thieffry lors d'une audience prévue le 18 novembre.
À Calais, le 29 septembre 2020, le préfet du Pas-de-Calais a procédé à l'expulsion par la force publique du site dit "Hôpital", où vivaient plus de 800 personnes exilées, dont des femmes, des hommes et des enfants.
Mohammed, demandeur et témoin sur le site expulsion, explique :"Dès le premier jour où nous étions dans le camp situé à côté de l'hôpital, la police a commencé à nous harceler et à prendre nos tentes. Le 28 septembre, des bénévoles sont venus nous dire que la police avait l'intention de supprimer le camp et d'expulser ceux qui s'y trouvaient. Certaines personnes ont pris cela au sérieux et ont quitté le camp le soir même pour aller dormir sous les ponts, au milieu de la forêt ou au bord de la mer. Je faisais partie de ceux qui sont partis.
Le 29 septembre, je me suis réveillé dans le froid du matin à proximité du camp. J’ai observé un nombre terrible de policiers autour du camp, beaucoup de bus et les caméras et appareils photos des médias. Des centaines de réfugiés ont été conduits par la police vers les bus d’expulsion comme des animaux. La scène était terrifiante, et bien que mes amis et moi observions de loin, nous avons quitté notre terrain par peur, et nous avons pris une route très cahoteuse pour que personne ne nous voie. Nous avons passé une journée entière sans nourriture et sous la pluie, nous déplaçant d'un endroit à l'autre de peur d'être arrêtés.
Crédit photo : Paloma Laudet. Le 29 septembre 2020, la gendarmerie poursuit les personnes lors du expulsion du site de vie dit "Hôpital".
Nous avons essayé de chercher les points où les associations distribuaient de la nourriture pendant deux jours mais nous ne les avons pas trouvés car la police les en empêchait. Je me suis souvenu des jours de la guerre de Gaza où nous passions nos journées sans nourriture mais nous sommes en France et nous ne sommes pas en guerre, alors que se passe-t-il ?
Le 2 octobre, au troisième jour de l'évacuation du camp près de l'hôpital, mes amis et moi étions dans 3 tentes parmi les arbres épais. Nous nous sommes réveillés au son d'un drone au-dessus de nos têtes. Nous étions très inquiets et avons essayé de chercher un autre endroit où dormir mais nous n'en n’avons pas trouvé. Sous les ponts, beaucoup de jeunes hommes dormaient et il n'y avait pas de place.
Nous sommes retournés au même endroit, mais nous nous sommes réveillés aux cris de soldats lourdement armés, et au bruit de la pluie qui noyait nos tentes : "Réveillez-vous, la police vous encercle". Ils nous ont fait sortir des tentes, sans que nous puissions prendre nos affaires, pour nous emmener en bus dans une ville à une heure de Calais. Ils nous ont mis dans un centre où il n'y avait aucun service, alors le directeur du centre nous a dit, dès que la police est partie, "vous pouvez maintenant retourner d'où vous venez, nous ne pouvons pas vous recevoir plus de trois jours".
Nous sommes retournés à Calais, et j'ai cherché un nouvel endroit plus sûr sous un buisson d'épines. J'ai dormi seul pour ne pas attirer l'attention de quelqu'un. J'ai demandé de l'aide à mes amis de Care4Calais et ils m'ont donné une tente et des couvertures pour me protéger du froid. Beaucoup d'autres ont dormi avec des morceaux de carton sans chauffage car la police empêchait les associations de leur apporter de l'aide. J'ai parfois l'impression que les réfugiés, comme nous, ne se reposeront que lorsqu'ils seront morts."
Sur la base de témoignages directs et d’observations, personnes exilées et associations ont donc décidé d’assigner le préfet du Pas-de- Calais en justice suite à cette expulsion. Celle-ci s’est déroulée en dehors de tout cadre légal et bafoue, une fois de plus, les droits les plus fondamentaux des personnes exilées.
Le préfet du Pas de Calais a invoqué le "flagrant délit" comme base légale(2) de cette expulsion. Or, cette procédure permet de recueillir des éléments de preuve dans le cadre d'une enquête, mais n'autorise pas le expulsion de personnes jugées "indésirables"3. expulsion La décision de procéder à l'évacuation forcée du site de l'Hôpital par la force publique a donc été prise par le Préfet du Pas-de-Calais sans en avoir le pouvoir.
Ensuite, ce site expulsion, présenté comme une " opération de mise à l'abri ", ne respecte aucun de ses principes. Il est donc urgent de rappeler que la mise à l'abri ne peut se faire sous la contrainte. Or, la contestation de expulsion a entraîné la réquisition d'une armada de forces publiques (gendarmerie nationale, CRS, police nationale, police aux frontières, .... ), l'obligation, au petit matin et sans aucune information préalable, d'embarquer dans des bus vers des centres d'hébergement éloignés de Calais (Toulouse, Nice, Brest, où 340 personnes ont effectivement été emmenées), l'encerclement de la zone d'expulsion par les forces de l'ordre, le bouclage du périmètre empêchant l'intervention des associations humanitaires de 6h à 13h, l'interpellation des personnes refusant de monter dans les bus (22 personnes, dont 5 mineurs, ont été arrêtées), etc. Plusieurs expulsés ont parlé de " chasse à l'homme " pour caractériser les courses-poursuites avec la police qui visaient à les faire monter dans les bus.
A l'heure où nous sommes en pleine crise sanitaire, ce expulsion, comme ceux qui continuent de le suivre, a durablement aggravé les conditions de survie de personnes exilées à Calais. Durant le expulsion, les effets personnels des personnes (tentes, couvertures, papiers, téléphones, etc.) ont été confisqués et parfois détruits. La zone où les personnes étaient installées a été nettoyée et la police est désormais présente en permanence afin d'empêcher toute nouvelle installation, sans qu'aucun abri digne, volontaire et inconditionnel ne soit proposé aux personnes du littoral. L'accès à l'eau et à la nourriture, assuré par les services de l'État, a été largement dégradé, tandis que les équipes des associations sont régulièrement menacées, voire empêchées par la police d'intervenir sur cette zone.
Le Défenseur des Droits en octobre 2016 puis en décembre 2018 à propos de Calais rappelait déjà qu’une nouvelle évacuation pourrait conduire à accentuer l’état de vulnérabilité des personnes exilées déjà̀ éprouvées par un parcours migratoire très difficile et que la tentative de les faire disparaitre, sans mise à l’abri digne et durable, en même temps que leurs abris serait vaine4. De fait, aujourd’hui, la majorité des personnes expulsées est de retour à Calais dans un état de dénuement encore plus important.
Alors que le préfet, Louis Le Franc, a commenté le site expulsion en disant qu'il voulait "éviter tout nouveau point de concentration et de fixation à Calais et [que] cette zone de Virval serait rendue inaccessible".5 le résultat de cette opération est une violation du cadre légal et une atteinte aux droits essentiels de tout être humain.
Organisations signataires
L'Auberge des Migrants
La Cabane Juridique
Fondation Abbé Pierre
Help Refugees
Refugee Rights Europe
Salam Nord-Pas-de-Calais
Secours Catholique Pas-de-Calais
Utopia 56
1 Nom volontairement modifié pour protéger son anonymat.
2 Communiqué de presse de la préfecture du Pas-de-Calais en date du 29 septembre 2020.
3 L'article 53 alinéa 1 du code de procédure pénale définit la flagrance.
4 Décision du Défenseur des droits en date du 14 octobre 2016 n°2016-165.
5 " Démantèlement d'un grand camp de migrants à Calais " Le POINT, 29 septembre 2020.
A Calais, « plus c’est gros plus ça passe »
A Calais, une semaine après la visite du Défenseur des droits, Madame Claire Hédon, et trois jours après la manifestation pour le respect des droits de personnes exilées, un grand expulsion a eu lieu dans la "jungle hospitalière" sans aucune base légale officielle.
"Hospital", un terrain vague boisé où vivent près de 800 personnes de différentes nationalités, la plus grande jungle de Calais aujourd'hui, a été expulsé ce matin.
Le préfet parle du expulsion "le plus important" depuis la grande jungle de 2016 sous prétexte de mise à l'abri des personnes. Comment peut-on parler de mise à l'abri quand celle-ci est forcée, violente et inefficace ? En effet, la stratégie politique de la terre brûlée et du harcèlement des habitants mise en avant par les pouvoirs publics est un échec. Quatre ans après la " grande jungle ", le contexte à Calais est le même, voire pire.
Dès 5h30, une armada de forces de l'ordre (gendarmerie nationale, CRS, police nationale, police aux frontières, police technique et scientifique, etc.) et près d'une trentaine de bus d'une capacité de 900 places, destinés aux centres de " mise à l'abri ", sont arrivés sur le camp. Il s'agit d'une ampleur sans précédent. Par exemple, lors du expulsion du 21 août 2020, quatre bus ont été affrétés. Les personnes ont été encerclées, escortées hors du terrain, placées en ligne et aveuglées par des lampes de poche dans le visage par la police. A l'écart du terrain, certains ont été aspergés de gaz lacrymogène dans la forêt du camp. Près de 340 personnes ont été brutalement escortées dans des bus, sans connaître leur destination, qui peut être n'importe où en France, dans des centres d'hébergement de toute façon inadaptés. D'autres ont été emmenées et enfermées dans des centres de rétention administrative. Au moins 22 personnes, dont 5 mineurs, ont été arrêtées : même ces derniers n'échappent pas à l'opération.
Juridiquement, le expulsion a été justifié par la police comme étant basé sur le "flagrant délit", qui permet la collecte de preuves dans le cadre d'une enquête, mais n'autorise pas un expulsion. Si le expulsion était basé sur un ordre de pétition, l'ordre de pétition aurait dû être affiché publiquement : sinon, le expulsion est tout simplement illégal. Si le expulsion était basé sur un arrêté préfectoral d'évacuation, celui-ci n'a pas non plus été rendu public.
L’absence d’annonce de base légale prive de facto les habitants des terrains de leur droit à un recours devant le juge pour contester leur expulsion.
Les forces de l’ordre ont brisé les arceaux de tentes, le peu d’affaires qui restaient ont été emmenées dans une benne, ou encore stockés dans un container humide. Les associations ont voulu s’organiser pour tenter d’observer le déroulement de l’expulsion mais ont été repoussées en dehors du périmètre fermé par les forces de l’ordre, alors que les journalistes, contactés par la préfecture, étaient invités à y entrer.
A 12h30, le expulsion n'était toujours pas terminé. Cependant, au même moment, un nouveau expulsion a eu lieu sur un autre site d'habitation, " BMX ", loin du périmètre imposé discrétionnairement par la police. Les habitants ont été brutalisés, gazés et les observateurs volontaires ont été malmenés. La majorité des occupants de ce champ ont refusé de monter dans les bus ; tous leurs abris, tentes, sacs de couchage ont été saisis. A 14h40, le site expulsion a pris fin.
En neuf heures, plus de 800 personnes ont été expulsées, sans qu'elles aient eu la possibilité de faire valoir leurs droits.
Organisations signataires
La Cabane Juridique
Human Rights Observers
First Aid Support Team
Collective Aid
Terre d'Errance
Project Play
Refugee Youth Service
30 juillet 2020 : expulsions à Calais
Le 30 juillet 2020 la préfecture du Pas de Calais a procédé à une nouvelle à l’expulsion dans la zone industrielle des Dunes.
A Calais, depuis la visite de Gérald Darmanin, les expulsions forcées, brutales et inutiles des campements se multiplient au détriment des droits fondamentaux de personnes exilées.
De nouveau, au matin du 30 juillet 2020, à 6h42, une expulsion d’ampleur a été programmée. 11 cars de CRS, renforcés de quelques cars de gendarmerie mobile, sont intervenus pour ex- pulser les personnes qui avaient élu le bois Dubrule, une parcelle modeste coincée entre plusieurs zones grillagées de la zone industrielle des dunes, comme lieu de survie. Ce sont près de 800 personnes qui s'y étaient installées depuis la série de démantèlements qui a débuté le 10 juillet dernier. Parmi les habitant.e.s, une quarantaine de femmes, dont certaines enceintes, et une dizaine d'enfants en bas âge, ont été frappé.es indistinctement par ce départ forcé et ses conséquences inévitables.
À leur arrivée, les plusieurs dizaines d'agents mobilisés n'ont trouvé qu'un bois déserté. Pour cause, les personnes exilées, marquées par la violence de l’expulsion du 10 juillet, ont choisi de déplacer de manière précipitée leur installation afin de protéger leurs effets personnels, leurs couvertures, leurs tentes, d’éviter les violences mais aussi un éloignement contraint vers des centres qui n’apporteront aucune solution durable à leur situation. Désorientées et résignées face à la précarisation croissante de leurs conditions de vie, installées aux abords des routes sur des morceaux de trottoirs, les personnes exilées ont exprimé leur détresse aux associations : où aller ? Où est ce que la police nous laissera vivre ?
L'accélération des politiques d'éloignements forcés et de harcèlements depuis le 10 juillet dernier en prévision de la visite du ministre de l'intérieur le 12 sont concomitantes de l’inique, inhumaine et dangereuse restriction des services vitaux tels que l'accès à l’eau, à la nourriture, à l'hygiène et aux soins. Cette politique est pourtant aussi inhumaine qu’inutile. Depuis le 10 juillet, le nombre de personnes exilées sur le territoire calaisien n'a cessé d'augmenter. Malgré les dispersions successives, les personnes reviennent et reviendront. Faute de solutions pérennes, Calais restera un point de passage incontournable de l'exil vers la Grande Bretagne, seul espoir d'avenir pour beaucoup, délaissés par les pouvoirs publics.
Organisations signataires
L'Auberge Des Migrants
La Cabane Juridique
Collective Aid
Human Rights Observers
Refugee Rights Europe
Refugee Youth Service
Secours Catholique du Pas-de-Calais
Salam Nord/Pas-de-Calais
Utopia56
En plein confinement, plusieurs ordonnances sur requête aux fins d’expulsion ont été affichées sur des lieux de vie, situés sur la zone industrielle des dunes à Calais.
Entre le 20 avril et le 12 mai, trois ordonnances sur requêtes aux fins d’expulsions ont été affichées à Calais, sur la zone industrielle des dunes ; deux n’étaient écrites qu’en français, l’autre en français et en anglais, alors que ces langues ne sont pas parfaitement comprises par les personnes qui habitent sur ces lieux. Ces ordonnances ne sont pas une exception à Calais, elles s’additionnent à toutes celles adoptées depuis mars 2019 : 11 fois, un même juge a ordonné par ce biais l’expulsion de lieux de vie à Calais.
La procédure d'ordonnance sur requête est utilisée par les propriétaires pour demander en urgence le expulsion des occupants d'un terrain. La décision est prise par un juge, après présentation des seules preuves du propriétaire. Sans être convoqués devant le juge, les habitants des locaux concernés n'ont pas eu l'occasion de présenter leur défense avant le prononcé de l'ordonnance. Alors même que les droits de la défense, dans le cadre du droit à un procès équitable, font partie des droits fondamentaux auxquels doit se conformer la justice française. Ils sont garantis par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et par la Constitution française. La procédure même de l'ordonnance sur requête viole le droit à un procès équitable, contrairement aux prescriptions de la Cour européenne des droits de l'homme.
Ce type de expulsion n'est rien d'autre que la poursuite de la politique gouvernementale de lutte contre les points de fixation: " nous les démantelons depuis 4 ans, motivés par le constat d'occupations illégales de terrains d'autrui ", a déclaré le procureur de la République de Boulogne sur Mer en réponse à l'interpellation d'une association1.
Cette lutte se traduit par la violence exercée à l'encontre de personnes exilées, notamment par des expulsions quotidiennes de divers lieux de vie à Calais et à Marck. Pour illustrer ce harcèlement, les habitants de plusieurs lieux de vie visés par ces arrêtés sur requête sont déjà expulsés toutes les 48 heures, sans aucune base juridique cohérente. Ces expulsions régulières se poursuivent malgré le confinement et sont totalement incohérentes avec le contexte sanitaire actuel. La situation actuelle dans laquelle ces personnes sont laissées sur l’ensemble des campements à Calais constitue un grave manquement aux consignes sanitaires d’urgence préconisées ; mais également une atteinte à la dignité humaine ainsi qu’à la sécurité d’autrui.
à la politique de non-accueil qui leur est réservée.
Les lieux de vie des personnes en transit sont de plus en plus restreints, car les terrains expulsés sur la base d'une décision de justice sontclôturés et ne peuvent plus être habités. Le site expulsion du 12 mai2 en est un exemple. Bien que nous ne soyons pas du tout d'accord avec le fait de laisser des personnes vivre dans l'indignité, il nous semble essentiel de prévenir qu'un énième expulsion n'améliorera pas la situation de ces personnes. Les personnes qui vont être expulsées seront condamnées une fois de plus à être en mouvement. Face à une politique purement répressive, l'Etat doit trouver une solution digne et durable dans l'intérêt de personnes exilées mais aussi de tous les habitants de Calais.
C’est pourquoi nous nous joignons aux personnes concernées par ces ordonnances, qui exigent :
- la fin des expulsions quotidiennes et des violences policières à leur égard
- l’ouverture de voies sûres et légales de circulation au sein de l’Union Européenne, ce qui passe par la fin des accords du Touquet et la dénonciation des failles du règlement Dublin III
Organisations signataires
Auberge des Migrants
Cabane Juridique
Collective Aid
Help Refugees
Human Rights Observers Refugee Info Bus
Refugee Rights Europe
Refugee Youth Service
Salam Nord/Pas-de-Calais
Secours Catholique Pas-de-Calais
Utopia 56 Calais
1 "Malgré l'enfermement, le démantèlement des camps de migrants se poursuit à Calais", France 3 régions, 20/03/20 : https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/pas-calais/calais/malgre-confinement-demantelements-camps-personnes-migrantes-se-poursuivent-calais-1803866.html?fbclid=IwAR2UrrjpSs1AyGF-A1QICl0fazkWVdDG3i5YIuyMOuIt- lSltjVfQPZCkjM
2 "Calais, une centaine de migrants expulsés d'un camp" https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/pas- calais/calais/calais-centaine-migrants-expulses-campment-1827922.html
Nouveau site à grande échelle expulsion dans la zone industrielle des Dunes : le cycle sans fin des "opérations de mise à l'abri".
Le 24 janvier 2020, des ordonnances sur requêtes à fins d’expulsions, écrites uniquement en français, ont une nouvelle fois été affichées dans la zone industrielle des Dunes à Calais.
Cinq jours après l'affichage des ordres, et pour la cinquième fois depuis le 22 septembre 2019, une opération policière de grande envergure a eu lieu pour expulser une partie de la zone à partir de six heures du matin, où des centaines de personnes survivent dans des camps insalubres. Seul un site visé par l'un des arrêtés a été expulsé, la " station Shell ", ce qui laisse penser qu'un nouveau expulsion de " Hedde Wood ", visé par le second arrêté, aura lieu prochainement.
Aucun document n’a été communiqué aux exilé.e.s en amont de l’opération pour les informer dans une langue qu’ils comprennent de la date de l’opération, des lieux des centres d’accueil, et de leur accessibilité en termes de transports. Il s’agit pourtant d’une condition légale au regard de la Charte de fonctionnement des Centres d’Accueil et d’Orientation (CAO).
Vingt et un véhicules des forces de l'ordre ont été mobilisés et l'opération s'est déroulée " dans le calme ". Seuls cinq autocars ont été affrétés par les services préfectoraux pour " abriter " cent cinquante personnes, laissant une quarantaine de personnes sans solution, tout en sachant que tous les produits de première nécessité ont été confisqués par la police.
Cette opération, en violation des droits fondamentaux, coûteuse en termes de fonds publics, sera sans surprise inefficace. Elle ne fera que contribuer à perpétuer ce cycle insensé.
Présentant ces opérations comme des "mises à l'abri", l'action du gouvernement s'inscrit en réalité dans une logique sécuritaire, court-termiste et dégradante pour les personnes concernées.
Coincées dans un périmètre, escortées vers des autocars dont elles ne connaissent pas la destination et parfois menacées d’être placées en rétention lorsqu’elles ne veulent pas être envoyées vers l’inconnu, leur consentement est bafoué.
Il est évident que personne ne peut se satisfaire de la présence de campements insalubres dans lesquels ces personnes vivent, mais il est important de rappeler que les autorités publiques sont responsables de l’existence de ces lieux insalubres, et non leurs résidents. Si ces campements se constituent, c’est en raison des politiques de non accueil européennes et françaises. Elles visent uniquement à les soustraire au regard de la population en les forçant à se terrer dans des zones périphériques, alors qu’ils cherchent simplement refuge sur notre territoire.
Le Conseil Constitutionnel a consacré il y a vingt-cinq ans déjà comme objectif à valeur constitutionnel la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent. Si cette exigence était respectée, aucune expulsion ne serait nécessaire. Au lieu de prendre le problème à la racine, de s’attaquer à la précarité de l’habitat à Calais en recourant à des solutions dignes et durables, le choix est fait de leur tourner le dos. C’est cette politique gravement discriminatoire que nous dénonçons.
Nous demandons la régularisation de toutes les personnes sans-papiers présentes sur le territoire français, et l’ouverture de voies sûres et légales de circulation pour tou.te.s. Nous dénonçons les accords du Touquet, les failles du règlement Dublin III, qui entravent la liberté de circulation des personnes exilées.
Organisations signataires
Human Rights Observers
L'Auberge des Migrants
Utopia56
